En revenant avec un chou de Pontoise
Maurice m’avait bien dit que je pouvais venir quand je voulais. Les choux étaient prêts depuis le temps qu’on attendait [1]. Je voulais quand même lui demander la date pour venir les chercher : étant propriétaire, les choux comme les terrains lui appartenaient quand même. De plus, ce jour-là, il pleuvait pour arranger les choses. Quitte à se faire mouiller mieux valait téléphoner avant. Naturellement, je tombais sur son répondeur automatique. Lui demander de vive voix de trancher entre la bêche et le houillot, se heurtait à un mur forcément. N’en faisant donc qu’à ma tête, la brouette m’était venue à l’esprit pour le houillot. Mais, chargée comme un mulet, la brouette ne supportait pas la comparaison à la montée.
Finalement, mon caddy descendait la rue du Château-Belger avec tout le nécessaire pour aller les cueillir.
Lisa et moi passions la ravine : comme d’habitude, une gadoue ! juste avant de la passer, je cherchais l’odeur par dessus le marché ! Heureusement, Lisa avait son pantalon de pluie. Sinon, tous les deux, on terminait la journée plus trempés qu’une soupe.
Curieusement, la pluie à cet endroit, avait chassé bien des odeurs de l’été. “Depuis le temps qu’elle devait être curée !” m’avait expliqué Maurice. Depuis des générations qu’on parlait de la tenir propre ! Pourtant les riverains ne se gênaient pas pour déverser tant et plus. Puis la Mairie s’en est mélée pour harmoniser plus de 300 propriétaires.“ Mais il fallait payer”, je disais à Lisa, “alors imagine le résultat ” ! C’est pas demain la veille qu’on ne sentirait plus rien une fois les eaux lachées parfois.
Sur ce, là où Maurice m’avait dit de les prendre, les choux nous attendaient à bras ouverts. Des côtes blanches restaient les bras en croix jusqu’au trognon : visiblement quelqu’un avait tranché les têtes. Du coup, je prenais tout au houillot jusqu’à la racine. Pour un peu, je prenais la terre de la parcelle avec. Sans en perdre une, Lisa prenait les photos : “au moins une pour chacune des variétés”, je lui disais. Devant ses yeux, elle avait ceux de Pontoise. Un peu plus loin, c’était les Choux de Milan de Gaby. "Plus goûteux", m’avait dit Maurice. Mais, on était tombé d’accord sur les Choux de Pontoise pour l’occasion.
Il était temps ! Déjà la nouvelle s’était répandue à l’Auberge du Cheval Blanc. Le Chou de Pontoise revenait à la mode au point d’en faire commerce dans le canton. Comme quoi, les feuilles de Chou n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Tout Pontoise devait être au courant. Pour les remerciements, par contre, les potagers pouvaient toujours attendre. A défaut d’être bien payés, inspirer à coup sûr toute la ville faisait rigoler les jardiniers. Ils s’étaient décernés une médaille du travail par eux-mêmes. Dans les potagers, l"Avenue des Pôtes-agés" débouchait sur les choux de Pontoise. “Ils n’étaient pas plantés au bon endroit”, disait Maurice. Plus sur le plateau d’Ennery, ils se cultivaient mieux en fait. Et en hiver, ils ne devaient pas compter donner leur nom à tout un quartier. Pour ce faire, une variété de printemps était absolument nécessaire. Et les petits pois allaient de paire pour contrecarrer les parasites. A ces conditions seulement, le Quartier du Chou portait son nom comme de juste.
Ces réflexions me laissaient muet en leur possession maintenant : le reste s’enchaînerait de lui-même en remontant la pente. Sabrina avait donné la recette par Internet. Anne-marie m’avait promis de se mettre au fourneau. Et Bosse, s’il le voulait bien m’aiderait pour le feu. La montée en température devait chasser encore un peu de l’humidité du four [2] : depuis le pain de la dernière fois [3], il en restait sûrement encore. Une courbe viendrait le démontrer par A+B.
Naturellement la courbe ne concerne pas seulement le four du 26 : mais, englobant toute la carrière, elle donne une idée des conditions auxquelles s’exposaient nos ancêtres [4]. L’humidité [5] n’a aucune raison d’avoir été très différente. Mais il est peu problable que Jehan Rousseau [6] ni sa femme d’ailleurs aient su économiser leur peine. Savaient-ils que chauffer de l’air humide demande trois fois plus de bois que d’habitude ?
Quoi qu’il en soit Lisa pouvait tester ses pommes de terre le vendredi. Par précaution, elle avait fait ses petites croix sur la peau :“ sans doute, pour éviter l’éclatement,” je me disais en la voyant les inciser avant de les mettre sur la plaque. Mais après tout, scarifier les pommes de terre comme le pain n’avait rien d’extraordinaire !
De midi à huit heures, la montée en température (de 6,5 à 12 C) de la carrière s’accompagnait d’une baisse d’humidité (de 95 à 82 %). C’est dire que nos ancêtres pouvaient la chasser en brûlant quelques bûches. Utilisaient-ils des sarments [7] pour amorcer comme nous ? En tous cas, notre papier journal [8] n’est certainement pas d’époque. A cette chaleur des braises ( de 250 à 300 C), il aurait fallu ajouter la chaleur animale complémentaire. Même avec du petit bétail, c’était sans doute un appoint précieux. Le dos à peine tourné, la température s’abaissait une fois les pommes de terre parties. Le feu abandonné à couviner laissait alors filer l’humidité sur ses hauteurs habituelles. Mais Lisa et moi étions tirés d’affaire : il ne nous restait plus qu’à les goûter avec Anne-marie toutes chaudes.
Le vendredi était donc consacré aux pommes de terre en robe des champs. Mais une fois la chaleur sous la peau, c’était au tour du chou d’être farci le samedi. Pour cuire à l’étuvée, les braises devaient seulement être enlevées. Dans les briques, la chaleur suffisait pour tenir une petite heure d’affilée. Toute proportion gardée, le four rivalisait avec nos cuisinières électriques. Le tour était joué par conséquent pour régaler les invités.
C’est bête comme Chou ... de Pontoise
Les laver à grande eau leur enlevait d’abord un peu de terre. Ensuite, la recette était un jeu d’enfant à suivre.
Les choux, comme les artichauts, sont prisés pour leurs feuilles. Elles sont déposées dans le fond du plat en terre réservé à cet effet.
Vient la farce par dessus le marché. Sans rien effacer, on recommence tout jusqu’à ras bord du plat en terre. En tout et pour tout, 4 couches peuvent ainsi être empilées comme des mille-feuilles.
Pour terminer, le papier sulfurisé vient chapeauter le tout. Dès cet instant, le plat en terre peut se poser sur la brique réfractaire. A condition, d’enlever les braises comme de bien entendu.
A vue de nez, les braises laissent derrière elles la sole propre à une température bien suffisante. Cuire à l’étuvée [9] se distingue donc de la pizza. Cette dernière a besoin de son bois tout à coté. Tandis qu’à l’étuvée, le plat de chou bien préparé cuit dans le four toute porte fermée. Le pain exige une demie-heure à l’appréciation des boulangers. Et la place des pâtons sur la sole a une importance capitale. De plus, le choc thermique doit être brutal. La légèreté de la mie issue des bulles éclatées en dépend après fermentation. De là, un four comme celui de l’Hermitage tenant parfaitement la chaleur. Mais celui du 26, sans réserve thermique proprement dite convient seulement à l’étouffée. Ceci pour dire que le four ne cuit pas seulement du pain.
Sur ces entrefaits, les invités
[10] pouvaient arriver de 18 à 20 h. Trop nombreux pour la maison du four à pain, ils ne pouvaient se mettre les pieds sous la table en arrivant. Un buffet les attendait debout avec les amuse-gueules.
Après, ils pouvaient déguster le chou avant d’aller goûter le commentaire sur le four dans sa carrière. La plupart connaissant celui de l’Hermitage, Gaby se contentait de raconter la restauration. Dominique s’étant fait l’autre four non loin de là, restaurer à l’identique était la voie à suivre. Des tuileaux presque d’époque avaient été sélectionnés. Puis un gabarit de voûte avait été posé. Mais le mystère de la cheminée restée blanche depuis le temps était entier. Il n’empêchait pas un autre gabarit en bois celui-là d’avoir façonné la gueule cassée du four d’autrefois.
Etant donnée la fumée qui s’incruste longtemps dans la pierre, le conduit aurait dû être noir comme du charbon. Au contraire, il était presque blanc comme neige !
Quoi qu’il en soit, Fabrice voyait comment Jehan Rousseau avait fait de la carrière sa demeure. Elle n’avait pas été creusée pour en extraire de la pierre trop mauvaise pour la construction à cet endroit. Mais à l’escoude peu de temps avait été nécessaire pour toute la cavité.