La maison du four à pain
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Rendez-vous confinés aux Jardins 2020

lundi 15 juin 2020, par Jean-francois Doucet

Arma virusque cano [1] : un coup de virus dans un ciel serein

Jonquille précoce (Narcissus)

En avance cette année, le printemps très climatiquement déréglé, était pourtant très prometteur. A tel point, que, pour ne pas perdre une miette de notre globe mondialisé, "transmettre" était hissé au rang de maître-mot. Aussi les jardins se demandaient ce qu’ils allaient bien offrir comme futur ! Moins que le pur plaisir était exclu d’office : pour ce faire, la mort à domicile avait été évacuée hors les murs de la ville, la médecine guérissait tout le monde de toutes les maladies, les experts délivraient leur prêt-à-penser en toutes disciplines, les vacances s’allongeaient sur les plages au soleil au bout de la planète, les supermarchés offraient en toutes saisons de la chimie sous emballages, chaque enfant portait des vêtements de marque à bon marché, allait et venait à l’école en voiture dernier cri en attendant d’avoir la sienne clefs en mains à ses 18 ans révolus, sans compter un smartphone révolutionnaire pour atteindre à chaque instant tous les points du globe ! Le plaisir de vivre s’étendait éternellement à l’infini. La terre immobile tournait toujours aussi vite dans l’espace mais ne se retournait plus dans les jardins éphémères. Heureusement, le rêve d’un petit lopin de terre véritable mouchoir de poche à soi se réalisait enfin. Les hermitagiens hors sols avaient trouvé une aire d’atterrissage après avoir cherché en vain le pilote de l’avion post-moderne.
Désormais, les potagers ne nourrissaient plus seulement leur homme : les maraîchers passaient jardiniers du dimanche. Ils occupaient le terrain comme autrefois : les écoles, elles, récoltaient l’art et la manière du passage obligé de père en fils. Petit à petit, le maraîchage terre à terre s’était éclaté en théorie : agriculture biologique, biodynamique ou même permaculture se pratiquaient un livre à la main. Sans coup férir, les jardiniers bêchaient en mettant les graines sur la paille. Tout ce que la terre, à peine retournée, peut produire émergeait de l’humus. C’était à se demander comment nos aïeux survivaient sans savoir ni lire ni écrire. Comment de saisons en saisons, leur savoir-faire enraciné dans le sol s’était transmis depuis des siècles ? Comment l’ouragan du progrès avait balayé une tradition millénaire ? Jusques et y compris, les saisons avaient été soufflées comme des bougies sur le gâteau. Personne ne marchait plus sur ses propres plates-bandes. Chacun dansait comme il pouvait dans les allées : fruits et légumes recouvraient durablement guerres, famines et mêmes épidémies.
A partir de là, tout était allé à la vitesse de l’éclair. Les maraîchers avaient appris à lire, à écrire et à compter. La rentabilité menait désormais tout un chacun par le bout de son nez. Pas plus loin que midi à quatorze heure, le salut était accroché aux cordons de la bourse. D’ailleurs, les rendements montaient en flèche au prorata des profits sonnants et trébuchants. Cultiver la terre dispensait maintenant de la sueur sur le front au travail. L’essentiel était devenu de gagner gros, plus encore et de plus en plus vite. Du coup, ne se transmettait plus que l’accélération : elle envoyait en l’air dans un plaisir infini. L’ivresse une fois passée, le jardin découvrait le pot-aux-roses : le calcul de rentabilité avait oublié les détritus de la fête. Ils emboucanaient sol et sous-sol : sous terre était devenu un cimetière. Au ciel, oiseaux, insectes et mammifères fuyaient à tire d’aile.
Petit à petit, la nature cessait de s’offrir à la prédation sans frein. Elle ne parvenait plus à donner satisfaction à des besoins de plus en plus immodérés. Belle fille du monde, elle ne donnait plus que ce qu’elle avait. En toutes saisons, tout le globe ne pouvait plus être nourri à satiété. Inexorablement, le retour de bâton était question de temps. Les jardiniers se perdaient en perplexité conjoncturelle. Leurs explications, de derrière les fagots, devenaient très compliquées.

Cycle du ver de terre
A partir des feuilles mortes, le ver de terre nourrit en sous sol les plantes du sol

Les troglodytes du quartier savaient pertinemment que le propriétaire du sol l’était du sous-sol également. Du coup, jusques et y compris les vers de terre jouaient leur mélodie en sous traitance. En boucle infernale, quantité de petites bêtes bossaient dur dans les galeries. Par ce biais souterrain, les jardiniers hors sols remettaient la pointe des pieds sous terre. Ils faisaient désormais partie du concert naturel des êtres vivants. De religieusement immuables, leurs savoir-faire passeraient désormais de mode en mode : l’anthropocène leur ouvrait grand les bras. La nouvelle ère avait besoin de leur profusion pour maitriser l’effet de serre.

Serre aux potagers
Une serre permet de contrôler tous les paramètres de la culture maraichère (température, humidité, acidité, lumière etc)
JF Doucet

Devant ses yeux, de plain pied, le retour à la terre sans la retourner devenait un jeu de piste. Les jardiniers dans leurs serres passaient à sec le gué d’un fleuve comme le Jourdain. De très prosaïques, ils s’improvisaient poêtes.

Effet de serre
Comme dans une serre de jardinier, les gaz à effet de serre retiennent une partie de la chaleur

Ils examinaient la cause d’avec la conséquence : loin d’être innocemment maîtres de la terre, ils voyaient bien l’ombre au tableau. Les ressources n’étaient pas un cadeau tombé du ciel des siècles durant. En fin de compte, la nature réclamerait son dû : le prix à payer pour ses bons et loyaux services figurait sur la facture finale.

Un virus met les points sur les "i"

C’était sans compter qu’un grain de sable leur mettrait des bâtons dans les roues. Un étranger au monde des vivants, parasite de surcroît, arrivait en trouble-fête. Sans tambours ni trompettes, un pique-assiette s’était mis les pieds sous la table. De premier abord insignifiant, il s’incrustait dans chaque assiette. Puis, comme le pain, il se multipliait à l’envie. Tous les invités ne voyaient pas trop d’inconvénients à la présence d’un intrus dans l’opulence. La nourriture arrivait en flux tendu sur un plateau d’argent. Au bout d’un moment, de cycliques, les produits du jardin avaient des limites quand même. La multiplication des intrus faisait craindre la famine dans chaque assiettes. Les jardiniers même en dépassant les bornes ne produiraient pas assez en quantité astronomique. De plus, ils prenaient de plein fouet une bien mauvaise nouvelle. L’opulence leur envoyait la monnaie de leur pièce : une infection de Chine avait déraillé du cycle naturel très global : au lieu de rester à l’abri chez les chauve-souris, un virus plus malin que les autres avait sauté le pas chez l’homme. Tout beau tout nouveau, il s’en donnait à cœur joie dans les poumons des grands malades. Au bout du tunnel, il rappelait la peste occidentale : depuis longtemps chassée des esprits elle revenait de loin naturellement au galop. Le virus inconnu faisait tourner tout le monde en bourrique. Plus personne n’était assuré d’avoir un lit douillet à l’hôpital. Au bout du tunnel, tout ayant une fin, les cimetières seraient débordés aussi.

Extension de la pandémie dans le monde
Covid-19, chronique d’une émergence annoncée (P. Sansonetti, Conférence du 19 mars 2020 - Collège de France.
Johns Hopkins University
Les virions de coronavirus
Les virions du coronavirus de la taille de 125 nm s’entourent d’une couronne qui leur donne leur nom

Le château de sable menaçait de s’ écrouler sur le champ. Un coup de pied viral dans la fourmilière rebattaient toutes les cartes. Seules coïncidaient celles des voyages planétaires et de la pandémie.

Les échanges internationaux
La carte des échanges internationaux coïncide avec celle de l’extension de la pandémie du SARS-Cov-2. (4 milliards passagers aériens en 2019, IATA)

La nature réduite en poussières d’étoiles ?

Des voyageurs très touristiques avaient barbouillé de virus la planète tout entière : des milliards de nanomètres collaient à la poussière d’étoiles. Tout un chacun était impliqué dans la fusion nucléaire sans moyen d’échapper à la soupe infernale. Un cours instant, les hommes sur terre avaient quitté la dialectique du Maître et de l’Esclave. Ils dressaient dans le cosmos leur « axis mundi » qui leur passait dans le corps des pieds à la tête. Ils s’arrachaient à la nature : tout devenait apprentissage d’un savoir-faire. Le règne animal leur montrait le chemin : la moindre bestiole naissait programmée pour tenir sur ses pattes au bout de quelques instants. Le temps de l’apprentissage était en revanche donné aux êtres humains. Ils ne devenaient efficaces qu’au bout d’un certain temps. Du coup, leur rigidité était retardée d’autant. Flexibles, ils s’adaptaient plus facilement : depuis que le monde est monde, ils avaient envahi tous les continents. Un environnement hostile ne leur faisait pas peur pour autant. Devenue en partie inhabitable, la terre serait comme jadis un refuge pour les fuyards migrant d’un continent à l’autre. Restait à nourrir par milliards tout ce monde qui ne serait plus jamais comme avant.

Remerciements et dédicace
Tous confinés de l’Hermitage et du Chou
Susinthiran Sithamparanathan (informatique)

Notes

[1La citation exacte du premier vers de l’Enéïde de Virgile est "Arma virumque cano, Troiae qui primus ab oris, ... " Je vais chanter la guerre et celui de Troie qui, exilé prédestiné, ...“

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