Léon le paon nous avait déjà habitué à nous en faire voir de toutes ses couleurs en pavannant devant sa femelle.
C’est dire que le jeu des couleurs était connu depuis longtemps à l’Hermitage.
La lumière y est si particulière que des peintres s’y sont laissés prendre. Ils ont potassé leur petit Chevreul [2] illustré pour les faire résonner entre elles. Désormais une couleur sur une toile donnait une nuance à sa voisine. Elle pouvait l’éclairer ou la salir comme lorsqu’un jaune placé près d’un vert prend une nuance violette.
Les couleurs cessaient définitivement d’être autant de fines pellicules plaquées sur la réalité. Déjà Goethe avait fait de la pratique des couleurs une belle théorie physiologique. [3]
Selon lui, deux tendances extrêmes organisent le spectre des couleurs. A un bout, le jaune s’approche de la lumière. De l’autre, le bleu est bien sombre. Entre les deux, toutes les autres couleurs se rangent d’elles-mêmes.
I. Newton [4] du coté de la Science l’avait décomposée. Après lui, la lumière blanche ne restera pas pure : elle est composées des 7 couleurs visibles de l’arc-en-ciel. Exactement comme les 7 notes de la gamme sur une corde vibrante, elle est décomposée par le prisme.
Du coup, la crête du coq de Maurice n’est plus rouge par lui-même mais ne se voit rouge que parce qu’il absorbe toutes les autres couleurs de la lumière blanche du soleil.
Des peintres jouent leurs gammes à l’Hermitage
Pas étonnant que les peintres aient ramassé la mise pour innover vraiment. Ils laissaient à leurs amis photographes [5] le soin de fixer les portraits. Enfin libres, ils prenaient du recul par rapport à la nature des paysages. Désormais, c’était leur vision des choses qui irait sur la toile. Pures sur leurs palettes, les couleurs résonneraient entre elles une fois étalées. De fait, une fois peintres et paysages disparus, elles se font encore écho sur le tableau comme les notes d’un accord de la gamme.
Le chevalet de C. Pissarro les pieds dans l’eau
C’était sans compter avec les aléas climatiques qui allaient opposer la théorie à la pratique. Au moment de démontrer par A + B aux enfants des écoles ce que C. Pissarro avait vu, la pluie s’était mise à tomber. Le quartier reprenait le dessus avec la montée des eaux. La nappe phréatique affleurait de nouveau. Mais expliquer à de jeunes cerveaux les crues de la ravine, c’était très compliqué. Les enseignants craignaient d’être trainés dans la boue. Les bottes en caoutchouc des bambins n’y faisaient rien. Les Rendez-vous aux Jardins tombaient à l’eau.
Quelques classes se hasardaient à se risquer quand même. Entre deux trombes d’eau, C. Pissarro montrait encore son intérêt.
Comparés au temps maussade, les coquelicots reprenaient des couleurs. Pour un peu, C. Monet exposait ses fleurs à l’Hermitage !
Brigitte Goupil tord, déforme, soude, verres et céramiques de récupération.
Caroline Taffoiry qui s’était faite connaître par ses playmobils nous surprend cette année avec des sculptures en papier mâché qui se jouent de la couleur.
[2] Chevreul, de la loi du contraste simultané des couleurs -1839, Imprimerie Nationale, Paris,1889 633 p.
[3] Dans son ouvrage "Le Traité des couleurs"(Farbenlehre) J. W. von Goethe (1749-1832) publie vingt ans de recherche (de 1790 à 1823) sur la couleur.
[4] Isaac Newton , Lectiones Opticae…, voir A. E. Shapiro, Optical Papers of Isaac Newton, Cambridge University Press, 1984.
[5] Monet, Sisley, Pissarro, Renoir, Degas ont été accueilli par le photographe Félix Tournachon plus connu sous le pseudonyme de Nadar pour l’exposition du 15 avril 1874 au 35, boulevard des Capucines où la toile de Monet " Impression, soleil levant" a donné son nom au mouvement .