L’Hermitage : un héritage pour sa jeunesse ?
Si jeunesse savait ...
Depuis quelques années, mine de rien, l’Hermitage s’est redonné un coup de jeune. Par Internet, une cache "geocaching" est venue rendre ludique notre quartier. De quoi attirer tous les smartphones de l’opulence dernier cri. Naturellement les vieux n’y ont vu que du feu. Mais la 4G des générations futures ouvre les yeux aux géocatcheurs qui veulent percer le mystère du virtuel. Une fois devinée l’oeuvre "de notre père à tous" comme dirait P. Picasso [1] le tableau ci-contre apparait sur le petit écran. Le passé livre alors à la jeunesse la sensation [2] de C. Pissarro devant la carrière près du four.
Personne ni vieux ni jeunes n’a jusqu’à présent découvert le pot au roses sur son smartphone. Les joueurs ont donc pris les commentaires sur le point geocaching GC4X9ZZ pour argent comptant. Le petit écran téléphonique leur a livré son prêt-à-penser bon marché. Les grands maîtres du copié-collé ont placé le tableau à l’entrée de la Sente des Cheminées.
A regarder la peinture de près pourtant, dans le coin gauche, un rocher crève les yeux en haut du tableau. [3] Si les connectés hors-sol remettaient leurs smartphones à l’heure, ils s’apercevraient que la Sente des Cheminées n’a rien d’un rocher. Elle est, au contraire, un vide longeant l’entrée d’une autre carrière. Remontant la rue un peu, les smartphones seraient à deux doigts de retomber sur leurs pattes ; au dessus du pressoir d’Hastrel, des plis de roche déparent moins dans le tableau. Seulement, pour les remettre en place, un état plus ancien doit être mis à l’ordre du jour. Le terrier de 1736 appelé à la rescousse, le débouché de la carrière devient évident. Pas étonnant que les smartphones, aveugles, ne peuvent ni le voir ni l’entendre. Ils zappent la carrière en dehors des limites de l’épure. Technologiquement parlant, le passé se bâtit sur du sable ; un grain grippe la réalité de leur futur. Leur plan sur la comète risque alors de s’effondrer comme un château de cartes. Les smartphones, à force d’aller plus vite que la musique, perdent même le sens des réalités sur terre. Pour le leur rappeler, deux jours par an, sont nécessaires : à un moment donné, les Journées du Patrimoine ralentissent leur course effrénée. Le passé du quartier mange alors son pain blanc. Gratuitement, une bouchée de pain pour tous est offert sur un plateau. Dans la corbeille, une nouvelle saveur en bouche s’offre aux visiteurs. Ils sont à la noce avec un autre temps : la gâterie les surprend un instant. Fade, de prime abord, la lenteur devient source inépuisable de richesses ou presque.
A la recherche du pain perdu
A l’approche du four au pas lent, les smartphones devraient s’éteindre pour savourer le pain vraiment. Les boulangers offriraient alors une visite guidée dans le passé. Leur confrérie date en fait de quand les boulangers tamisaient à la main. La farine était alors leur fond de commerce très lucratif. De cet état, les talmeliers [4] ont hérité leurs uniformes. Du fond des âges, ils remettent à l’honneur la fierté de leur métier. Ils adressent comme un clin d’œil aux sans emplois modernes.
Boulanger devient dans ces conditions plus qu’un métier très ordinaire. Pour certains, c’est une vocation. Les plus chevronnés y voient même un sacerdoce. Un saint patron leur tend les bras à qui se vouer. A une date donnée, ils fêtent Saint Honoré en costume très symbolique : une plume au chapeau vole au vent comme la flamme du four. Une pelle de boulanger tient lieu d’oriflamme. A qui sait le voir, ils inspirent ainsi un profond respect. Leur confrérie est une véritable Académie Française du savoir-faire.
Une bouchée de pain sans casser la croûte
Plus aucun doute n’est possible pour qui sait faire le rapprochement : ce qui se fabrique ici est l’original de ce que le supermarché vend sous cellophane. Sans le moindre emballage, le pain du patrimoine sort tout cuit dans le bec des visiteurs. La pâte progresse au vu et au su du grand public. La recette est connue de bien avant Internet. Elle a fait ses preuves au quotidien sous toutes ses formes. [5] Elle apporte ainsi sur un plateau tout un pan d’histoire du hameau. Se laisser tenter par une simple bouchée peut amener à encore plus ancien. Avec le goût du pain, la jeunesse a toutes les cartes en mains : un gouffre de siècles obscurs s’ouvre sur son passé lointain.
Si elle le voulait bien, elle entendrait ses ancêtres raconter leurs jeunesses à eux sans la moindre lumière. A leur époque, ils se couchaient jeunes à l’heure des poules. Les grandes occasions mises à part, ils allaient au lit sans se laver ni les dents ni le reste. L’hiver, ils glissaient une brique bien chauffée dans les draps frais. Le lit se mettait en mode douillet pour toute une nuit. Le matin, sans chômer, ils se levaient avec le soleil. Très tôt, les corvées attendaient toute la journée sans tarder. D’abord le bois à fendre exactement comme pour amorcer le four de nos jours. Puis le pain une fois cuit était trempé de raves du potager. Un bout de lard marquait les jours de fêtes et jours fériés. Même dans ces circonstances. ni enfants ni parents ne disposaient de connexion à facebook ou la télévision. Le soir, par conséquent, ils étaient dispensés de grignoter leurs chips en sirotant du coca. Sans fil, l’Hermitage vivait coupé du reste de la planète. Sans les milliards de gens connectés, chacun saluait bien bas son voisin bien obligé. Un mot gentil maintenait pour un temps la bonne humeur. Plus de gaîté était offerte sur les marchés en chantant. Texte et musique étaient servis en mains propres pour fredonner la toute dernière rengaine. Elle se répercutait dans les banquets à la moindre occasion. De bouche à oreille, elle durait un certain temps avant de passer de mode comme le reste. Puis un beau jour, la radio et tous ses micros ont fait leur apparition sans crier gare. D’un seul coup, chanter devenait superflu : il suffisait d’appuyer sur un bouton pour faire couler à flot tous les airs. La radio, d’un seul souffle, avait coupé le sifflet à tout le monde.
Bien avant les sonos sophistiquées, la jeunesse savait pourtant bien s’amuser. Sans aller chercher bien loin, chacun pouvait trouver sa chacune. Mais envisager un avenir, exigeait du terrain pour les enfants après. La bénédiction venait de surcroît dans la corbeille de la mariée. Puis les dragées à toute volée se distribuaient à la sortie des fonds baptismaux. Tout se terminait comme de juste dans le registre paroissial.
C’est dire que la jeunesse n’a pas changé depuis les temps immémoriaux. Pour assurer son avenir, elle sait fort bien comment faire. Elle n’a de conseils à recevoir de personne. Tout coule de source le plus naturellement du monde.
Un pain peut en cacher un autre
Très tôt, d’ailleurs, l’eau affleurant sous les terres fertiles autant que le calcaire tendre [6] ont attiré un premier peuplement. Demeurant sous terre, les troglodytes s’en sont sortis en construisant leurs fermes en dur. Du coup, leurs demeures souterraines sont devenues dépendances pour le fourrage ou le bétail. De cette époque, seules quelques traces subsistent de Jehan Rousseau [7] et de sa femme : là où ils ont habité les carriers ont laissé l’emprunte de leurs outils. Mais rien ne prouve que personne n’habitait là avant. Une seule chose est certaine : la roche a été creusée pour loger quelqu’un. Ensuite, seulement, la maison s’est construite à coté.
Chez eux, les époux Rousseau avaient déjà une cheminée. Une fois partis, un manouvrier astucieux a-t-il eu l’idée de l’utiliser en construisant un four ? Il sacrifiait de cette façon à la mode de l’époque de faire son pain sur place. Toujours est-il que désormais leur "carrière servant de demeure" permettait de les nourrir.
Un peu plus loin, le peuplement se répétait à l’identique. De sous terre sortait une habitation en dur. Puis au début du XIXème siècle probablement, chaque ferme s’équipait d’un four perso.
Jusque là, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas trop de mal à se faire une idée. Les smartphones - encore eux ! - restent précieux pour s’imaginer les lieux. Les SMS donnent une indication supplémentaire sur un hameau sans orthographe. Pire, ils introduisent à des villageois "ne sachant ni lire ni écrire". Ils se font rares parmi les pianoteurs de SMS modernes. En tous cas, écrivant en phonétique leurs textos très lapidaires, savoir n’est plus réciter rien par coeur [8].
Ni manouvriers, mi journaliers ni même laboureurs n’avaient d’ailleurs un besoin urgent de prendre la plume. Pour passer leurs contrats, les notaires de la ville leur donnaient un coup de main. Sinon, leurs pratiques s’apprenaient mutuellement sur le tas. De père en fils, ils se passaient simplement de quoi vivre. Leur lieu de travail leur tenait lieu d’école. Bons à tout faire, ils pouvaient même s’improviser maçon. tonnelier ou paveur.
Prête moi ta plume pour écrire un mot
Les lois de Jules Ferry allaient mettre fin à cette main-d’œuvre sans qualité. Apprendre à lire, écrire et compter donnait à chacun sa formation élémentaire. Désormais, s’en sortir grâce à l’instruction primaire était à portée de main pour tous. La moindre peau d’âne garantissait un salaire à qui abandonnait les travaux des champs. Une fois embauché dans l’industrie naissante, le pli était pris pour manger à sa faim. Bien plus tard, l’urbanisation galopante donnait le coup de pouce final. Exproprié l’un après l’autre, les cultivateurs devaient payer le prix de leur exode rural. A la place des cultures vendues à bas prix, les habitations poussaient comme des champignons. Inutile de dire les profits tirés de ces juteuses transactions foncières. Désormais sans terres, chacun devait gagner sa vie ailleurs et cultiver son potager à la sueur de son front. Habitués à vivre de leurs terres, même un bon salaire était un maigre lot de consolation. Rien ne se trouvait plus à portée de la main. Même se marier obligeait à aller chercher encore plus loin. Les familles, dans ces conditions, s’éclataient un peu partout sur terre.
Sans courroie de transmission
Depuis, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, tout est allé très vite ! Un fossé s’est creusé entre anciens et modernes. Le jeunisme tentait bien de combler la béance : héritière de nulle part, chaque génération ré-inventait la roue et l’eau chaude avec. La place aux jeunes était un silence impressionnant. Le nombre des années ne faisait pas fortune non plus : mettre en avant son parcours face aux jeunes et dire : " Tu verras quand tu auras mon âge " condamnait définitivement. Au bord de la tombe, oser dire " je te l’avais bien dit "creusait encore l’écart. Les années elles-mêmes dansaient sur un rythme endiablé. Tout un monde gardait son savoir-faire par devers lui. Quant à son savoir, il tombait dans l’oreille d’un sourd. Les souvenirs de jeunesse, faute d’intérêt, tombaient dans l’oubli le plus complet.
Toujours plus, toujours plus vite ...
Entre temps, la vie continuait son train-train quotidien. N’allant plus à pied, le quartier travaillait toujours plus loin. Avec le pavillon familial, la voiture devenait un passage obligé. Sans métro, la voiture reliait le boulot au dodo pour tout le monde. Au passage, elle déposait les enfants à l’école. A mi-pente, le four, seul, échappait au va et vient permanent. Véritable rescapé du carnage automobile, il narguait les tenants d’une circulation de plus en plus dense. Il avait échappé de justesse à la destruction pure et simple de l’après-guerre. D’année en année, il devenait un vestige plus vieux encore. Avec ses semblables en cessation d’activité, il s’inclinait devant le pain des artisans ayant pignon sur rue. Encore moins cher, le pain devenait carrément industriel enfin. Toujours plus de pain se produisait toujours plus vite.
Voir plus loin que le bout de pain dans sa bouche
Offrir une bouchée de pain, c’est, par conséquent, donner à la jeunesse un avant-goût de ce qui attend leur vie adulte : des métiers d’aujourd’hui, comme autrefois, disparaîtront : de nouveaux savoirs-faire flambant neuf éclipseront les méthodes passées de mode.
Déjà, l’an passé, la Mairie avait donné le ton ! Elle avait fait défiler les enfants des écoles devant leur four. Longtemps ignoré, il sortait de l’ombre peu à peu pour se graver dans les mémoires. A mi-pente, il agrippe maintenant au passage leurs souvenirs. Réciproquement, le four livre aux enfants ceux déposés là par les anciens. Un donné pour un rendu, la jeunesse peut se l’approprier. Par ce biais, tout le quartier se rappelle à leur bon souvenir. De son côté, il fait peau neuve en muant de générations en générations.
En levant le pain de la bouche : connecté hors-sol
Le besoin s’en faisait sentir depuis l’arrivée du monde entier pour se loger en haut de l’Hermitage. Naturellement chacun importait un bout de son pays d’origine. Tant et si bien que les chaumières se peuplaient des pays du monde entier en supplément. En plus du quartier à ses pieds, en chair et en os, chaque famille parlait " au pays" pour s’offrir un dessert. Relégués au loin dans le passé, tous souvenirs " au pays" s’auréolaient d’un prestige exagéré. Tout y était mieux avant : le quartier ici et maintenant, du coup, devenait bien pâlot tandis qu’ "au pays" faisait rêver petits et grands. Les enfants faisaient alors le grand écart. Dans le quartier, ils ne savaient plus sur quel pied danser : les smartphones aidant, certains se sont même retrouvés connectés nulle-part. Ils rejoignaient la jeunesse hors-sol du pays tout entier.
Tout à l’égo ?
Une fois éclaté, l’hermitagien moyen saura-t-il saisir la chance de sa vie ? "Au pays" lointain par ses parents, il est citoyen du monde non obstant ! Sur place, une fois déconnecté de son nuage, il peut se raccrocher aux branches de la réalité. Il se trouve alors à jouer sa propre petite mélodie très locale pour l’orchestre symphonique de la planète entière. De quoi aborder au galop le futur de l’urbanisation avec toutes les chances de son côté : il s’évite ainsi d’être pot de terre dur comme fer dans son seul intérêt pécuniaire. Car il aura vu que, quoi qu’il fasse, il partage désormais non plus son quartier avec le voisin d’à côté mais notre unique planète qu’il atteint au bout du fil de son smartphone comme quelques milliards de terriens.
Remerciements
Bénévoles About C " Claudia", About F, Albanese M (pizza) et L (chauffage), Arcival D, Dahlgren B (débitage des billots), Doucet F, Doucet JF, Doucet Ph, Doucet-Dahlgren A-M, Hérin C (et sa maman), Levesque, S.
Boulangers
Vilboux, Michel et Babette
Valadon, J
Organisations :
Service Culturel de la Mairie de Pontoise : Callandreau, AF.
Service Technique de la Mairie de Pontoise : env. 2 stères de bois
Commune libre de St Martin : Bazot, R. pour son Ginglet (3 Rouges et 3 Blancs )
Talmeliers de l’Ile-de-France . Doisneau, M. Foubert, M. Valadon, J.
Expositions :
Dassé F. "Le passé troglodytique de l’Hermitage".
About F. " L’Hermitage" un jeu d’enfant.
Blin, N. "Parcours sensible à l’ombre de C. Pissarro" et Guide de l’Office de Tourisme : Martinez, P, conférencière.
Mme Lambert, Carol pour l’autorisation d’utiliser le mur de sa propriété.
Commerces
Ets Arson, (place du Grand Martroy) la pâte du samedi et du dimanche.
Officiels
Seimbille, G. Maire-Adjoint de Pontoise.
Stein, P. Conseiller Municipal de Pontoise.
Remerciements à plusieurs centaines de visiteurs qui ont fait le succès de cette manifestation.