Longtemps, l’Hermitage devait s’en remettre à Pontoise pour seulement faire entendre sa voix . Réduit au silence, le quartier n’en pensait pas moins pour autant. La ville de son coté, du haut de ses remparts, ne s’intéressait au quartier que pour les célébrités [1]. Pourtant, c’était ignorer l’immense majorité qui a le droit d’exister quand même. Le genre de vie des habitants, de ce fait, est longtemps resté méconnu : rarement son histoire n’a été enregistrée vraiment. Les livres sur Pontoise le mentionnent bien au passage. Mais seuls ses troglodytes retenaient l’attention des auteurs. Tapis sous la roche, leurs habitations se sont maintenues dans le lot des habitations en pierre. Une fois le chemin de fer installé, ces vestiges d’un autre âge devenaient un but de promenade pour Paris. De plus, les vignes donnaient encore un "vin de soif " incapable d’enivrer pour se faire remarquer. C’est dire que le caractère de l’Hermitage se cantonnait à rien d’autre que de très ordinaire. Heureusement, Pontoise passait dernièrement Ville d’Art et d’Histoire. Le regain d’intérêt pour le quartier montait d’un cran enfin. Quelques sous rentraient dans les caisses de la Ville : du coup, un four, abandonné à sa propre destinée, attirait des passionnés. Ils retroussaient leurs manches pour le remettre en état tout en restant sagement bénévoles. [2] Une fois libéré du Château de Villarceaux, Mr Clair, boulanger de mètier, s’est même proposé pour cuire du pain gratuitement. Pour la deuxième année, son ami pâtissier est même venu lui prêter main-forte. De cette manière, le four a non seulement cuit du pain mais dimanche en soirée, il a terminé sur une pizza pour tous les gens du quartier.
Le pain de l’Hermitage sans le vin
Le vin manquait à l’appel - à la pelle [3] - lorsque l’Hermitage a cuit cette année son pain deux jours durant. Près du four, la vigne s’était faite une beauté pour les Journées. Du coup, le père Renevey et les voisins maraudaient quelques grappes avant la fête.
Entre 2 chauffes, le quartier se régalait des vestiges de la vigne. Le four en attendant montait en température doucement. A croire qu’il ne manquait que le vin pour mettre le four en marche !
Pourtant cette année, le père Perrin nous avait montré là où le père Parquet cultivait encore sa vigne
[4] .
Un terrain séparait les parcelles que, par la suite le père Leroux avait achetées. De son coté le père Bourgeois expliquait comment l’Hermitage produisait certainement un "vin de soif" pour désaltérer sans ennivrer en travaillant au champ. [5]
Pour dire qu’il reste encore des traces d’un temps où le Haut-de-l’Hermitage n’était pas encore pavillonnaire. Le père Pannet a même repéré quelques pieds qui s’aggripent à la ligne électrique de la rue du Château Belger. Elle est restée du temps où le quartier n’avait pas besoin d’aller chercher sa pitance à cent lieues à la ronde : au temps de la vigne, le gagne-pain était à portée de la main ! Et comme la ville ne suffisait pas à fournir au quartier son pain quotidien, les vignerons avaient chacun un four chez soi ! Il aura fallu que la maison face à la Sente d’Auvers [6] soit bonne à démolir pour que le four remis en état apparaisse comme par enchantement. C’est que tel un troglodyte, il se blottissait sous la roche : mais jusqu’à présent, personne ne sait précisément depuis combien de temps.
Datation : un bon siècle et des brouettes...
A bien des égards, le plan ci-dessous fixe un peu les idées dans le passé. Lorsqu’en 1876, la rue du Haut-de-l’Hermitage a été alignée sur toute sa longueur, la ville a fait un plan conservé aux Archives de la Mairie de Pontoise.
Elle a ensuite négocié avec les vignerons les bouts de chaussées amputés sur les propriétés. C’était l’occasion ou jamais d’écrire de la correspondance avec toutes les autorités. De ce fait, trace a été gardée de la maison qui abritait le four aujourd’hui restauré. De quoi désenchanter ceux qui auraient voulu en faire un four banal. C’était oublier que, même avec sa corporation de boulangers crée dès 1162, Pontoise n’a jamais eu comme ailleurs en France de four ni de moulin banal. Avec le plan sous le nez, on ne peut tout de même pas en conclure que le four existait bel et bien à l’époque des travaux. De ce fait, répondre à la question de la date de construction du four est particulièrement coton. Sur cette question, on ne peut donc que se perdre en d’infinies supputations.
L’esprit curieux doit se contenter des tableaux de C. Pissarro et de P. Cézanne. La maison abritant le four figure sur leurs toiles au beau milieu de celles qui existent encore de nos jours.
Le four ne fait pas feu de tous bois
Une fois la maison qui l’abritait déblayée, le four au contraire était en très bon état de marche. Il ne manquait pour ce faire que quelques bonnes volontés. Quelques années ont été nécessaires pour habituer les gens à le voir cuir le pain quelques journées par an. Depuis, il n’a cessé de s’améliorer. Cette année, le four ne s’est pas contenté du petit bois de l’an passé ! Au moment de commencer à chauffer, le père Renevey apportait ses brindilles : peut-être était-ce lui également qui fournissait l’amorce ? Elles arrivaient devant le four comme par enchantement. Elles allaient directement dans les cagettes du père Pannet préparées pour l’occasion. Derrière la grille au matin, on trouvait alors tout ce qu’il faut de boites de Camembert pour allumer un feu d’enfer.
"Mais attention" disait le père Doucet lorgnant sur les boîtes ! Seules les boîtes "Coeur de Lion" ont fait leurs preuves à l’Hermitage. "C’est connu", ajoutait-il, "les boîtes " Président" font long feu dans un échec total".
C’est que pendant la montée en température, la fumée s’était mise à noircir. Elle était si épaisse qu’elle refusait de passer par la cheminée comme il se doit. Pour un peu, on brûlait du charbon dans le four de l’Hermitage. Le voyant, le père Doucet apportait quelques brouettes de derrière les fagots.
Et finalement, l’étanchéïté devait satisfaire la salle de bain de Mlle Herin.
Il ne restait plus qu’à monter le four en température progressivement : pour ce faire, l’an passé, Mr Clair mettait du papier journal à chauffer dans le four : quand il devient cassant, le papier indique la température idéale pour enfourner. Cette année, Mr Clair a compté jusqu’à 10 sur une poignée de farine. Crépitante sur la sole, la farine donne alors le feu vert pour la cuisson. Noire, elle indique que les bornes ont été largement dépassées.
Le pain de l’Hermitage ou du Patrimoine ?
Le pétrissage est réalisé gracieusement chez Valadon pendant la nuit de vendredi à samedi. La pâte est ensuite laissée à fermenter pendant 3 à 5 heures ; c’est le pointage [7] avant d’être transportée dans des bacs par Mr M. Foubert. Une fois gonflée par la levure, la pâte se repose sous le parasol du père Pannet : il fait écran à la chaleur du soleil qui pourrait provoquer des fermentations parasites.
Division
Au moment où Mr Clair commencait à diviser la pâte pour la peser, le père Pannet s’est découvert une vocation de boulanger. A l’école de l’Hermitage, il est passé apprentis !
Le pesage Mr Clair, à l’Hermitage, bénéficie de toute sa liberté : un peu plus un peu moins, le pain court pèse, bon an mal an, 250 g compte tenu des pertes [8] à la cuisson et de la place du pâton dans le four. Ensuite les pâtons prennent un repos bien mérité.
C’est la détente.
le façonnage
De ses mains, Mr Clair allonge la boule pour former un pain court de l’Hermitage.
Apprêt
Pour une dernière fermentation, Mr Clair dépose les pains crus sur "la couche" : la pâte gonfle alors encore un peu en se reposant. Le format des pains courts convient parfaitement à la taille de la pelle et à sa manipulation sans recul près du four.
La scarification
Comme chaque boulanger, Mr Clair possède ses lames propres qui lui permettent de scarifier les pains courts exactement comme il apposerait signature sur la croûte.
L’enfournement
La cuisson dure de 30 à 45 mn selon les estimations de Mr Clair. Pendant ce temps, un silence religieux s’empare des visiteurs qui attendent le défournement
Après le temps du ressuage, où les arômes de la croûte et de la mie se conjuguent, le pain de l’Hermitage découpé est offert à la dégustation
Des petits pains qui ne se vendent pas
Le père Renevey profite de la brouette du père Bourgeois pour s’octroyer du pain à emporter ! Pas plus que l’an passé, le pain de l’Hermitage ne peut se vendre !
A peine le Pain du Vexin disparu, celui de l’Hermitage a pris aussitôt le relai après : le dégustant gratuitement, les visiteurs ont eu même envie d’en acheter par conséquent de plus belle. Mais sa cuisson, 2 jours dans l’année, n’en permet malheureusement pas sa commercialisation rentable.
[9]
De plus, la pâtisserie s’en est mélée cette année : dimanche Mr Basillon prêtait main forte aux boulangers. " Un pâtissier fait du pain comme un boulanger des gâteaux " a-t-il déclaré avant de se spécialiser dans la pizza. Une fois tout préparé, il ne leur restait plus qu’à aller manger au 26. Bosse et Anne-marie les attendaient pour manger : au dessert, Anne-marie a même osé un gâteau à la cannelle. Elle restait ainsi dans les recettes suèdoises de la veille : pour Mme Clair, le samedi, un sauté de boeuf [10] avait très bien fait l’affaire.
De la chaleur pour une pizza
Après chaque fournée, une chauffe intermédiaire remet le four à température.
Pour terminer en beauté, le dimanche soir, le four garde de la chaleur pour la bonne bouche. La perspective d’une pizza enthousiasme alors tout le quartier. Comme pour le pain, Mr Clair fait école et instruit une volontaire.
Sa recette utilise :
1 kg de farine de pâtissier T55,
500 g d’eau, 200-300g d’huile d’Olive,
40-50 g de levure,
10-18 g de sel.
Introduite dans un four chaud, la pâte est cuite à côté du petit bois en flamme.
Pendant ce temps, on essaie de compter le nombre de visiteurs : la Mairie veut savoir si le four a le succès escompté en s’attirant les amateurs de pain venus de loin !
Le bon vieux temps à l’Hermitage
Quelques centaines de visiteurs par an reprendront-ils le flambeau de la "fête des Hanetons" à l’Hermitage ? Cette réjouissance de saison avait lieu chaque année : comme souvent, un tableau de C. Pissarro, confirme la mémoire du quartier.
Puis la tradition s’est perdue : pour la dernière fois, en 1970, Mme Murielle Raymond était élue " Reine de l’Hermitage " place Maria Deraisme.
Cette année, cependant, 40 ans après, elle figure encore dans le journal [11]. ! De plus anciens souvenirs encore ont même revu le jour cette année : un peu avant la dernière guerre, [12] Mr Boquet habitait au 13 de la rue du Haut-de-l’Hermitage [13]. Sa jeunesse à l’Hermitage lui a laissé tant de souvenirs à raconter !
Il renoue avec les anciens du quartier : autour du four de bien vieux souvenirs s’échangent.
Aux gens du quartier, le dimanche soir laisse alors un peu de temps pour eux. Les différents acteurs des Journées se retrouvent autour de la pizza. Naturellement un verre est à portée de main pour trinquer.
Travail de mémoire pour un univers pavillonnaire
Le Haut-de-l’Hermitage, fraîchement installé dans un univers pavillonnaire s’était trouvé un passé pour une bouchée de pain. Mine de rien, chacun avait appris que le vignoble occupait le terrain il n’y a pas si longtemps. De plus, les amateurs de tableaux avaient repéré une autre forme d’habitat : non loin du four, une "Maison bourgeoise" attestait l’engouement à la fin du XIXème siècle de quelques parisiens pour les bords de l’Oise. A deux pas du four, également, l’habitat des troglodytes complètait le tableau. Sous la roche, une seule est encore habitée de nos jours : mais les autres gardent entier leur mystère.
Encore une question : l’Ermite était-il troglodyte ?
Ces habitations peu prestigieuses n’étaient pourtant pas à l’ordre du jour de la pizza conviviale du dimanche soir ! Pourtant, quelques visiteurs ont remis sur la table l’origine de l’Hermitage ! "D’un Ermite", de son nom Jean Dupin" , pu répondre quelque érudit pontoisien.
Jean Dupin, mort en 1504, était-il troglodyte ? Tout permet de le penser : dans le quartier, les habitations souterraines sont légions. Pour se loger, il n’avait par conséquent que l’embarras du choix. Mais nul ne sait s’il a fondé son Hermitage dans une grotte ? Après tout, tout le monde y gagnerait, dans le quartier, à savoir où tout a commencé !