100 ans avec ou sans protection ?
Au vrai, le thème de cette année - 100 ans de protection - ne convient pas du tout à notre quartier. Les autres monuments de la ville comme Saint Maclou [1] sont effectivement protégés depuis longtemps. Mais le quartier en lui-même n’est répertorié que pour son archéologie [2] Et encore ! Tradition orale oblige, les documents attestant son existence dans le passé se comptent sur deux doigts de la main. Son savoir-faire, en revanche, mériterait d’être conservé : deux journées sont trop courtes pour tout faire savoir de son habileté. Travaux des champs ou de la vigne, maisons sans toit sous terre et rendu de la lumière par des peintres talentueux ne peuvent figurer sur une liste de monuments historiques. Sans protection, par conséquent, il ne s’en est finalement pas trop mal tiré. Vivant caché, il a vécu heureux une bonne partie de son histoire. Son four en est un exemple probant : on a causé encore aujourd’hui de son bonheur dans les chaumières pour le replacer dans le monde agricole à l’époque de sa construction probable.
Une causerie pendant la montée en température du four
Avec 3 jours d’avance sur le patrimoine de la ville, une fois le feu crépitant dans le four [3] "les Amis du 26" [4] invitait ses bénévoles à converser sur la fabrication du pain à l’ancienne dans son contexte agricole [5]. Naturellement, M. Clair guidait les réflexions sur l’alimentation du passé. Pour quelques instants, un quartier devenu essentiellement pavillonnaire, redevenait un hameau du XIXème siècle vivant en quasi-autarcie de ses productions potagères, céréalières et viti-vinicoles.
Parmi les invités, 4 guides de Pontoise se tenaient au courant du passage d’un hameau de 300 feux à la cité-dortoir actuelle.
Mme Vertueux, Ms. M. Barillon, JG Pannet et C Desjardin posaient leurs questions sur le thème imposé de cette année.
Inutile de dire que la discussion glissait quelques fois vers des sujets annexes comme l’Impressionnisme devenu la "tarte à la crème " du quartier à force d’être abordé. Au sortir de la causerie, quand même, le hors-sujet se chuchotera entre participants au cours de la visite de la "Maison du four à pain" proprement dite ou du pressoir de d’Hastrel. Avec bonne humeur, tous les téléphones portables étaient laissés au vestiaire pour éviter trop de publicité au domaine privé. D’ailleurs sans coup de fil, on peut circuler dans la "carrière avec cheminée servant de demeure " où Jean Rousseau, le premier troglodyte connu de l’Hermitage a vécu au début du XVIIème siècle : il n’y a rien à voir de son corps - où a-t-il été enterré ? [6] demandait une guide de Pontoise - sinon l’odeur de son âme dans la carrière."
On ne discutait pas non plus d’une nouveauté importante dans le quartier : un nouveau boulanger avait repris le flambeau du commerce de proximité. Au four de l’Hermitage, il offrait sa pâte pour les 2 jours [7], 7 kg de farine à fleurer et la levure dans un petit sac en papier. Echange de bons procédés, le four de l’Hermitage mettait ainsi le pied à l’étrier du nouveau boulanger. Même la Gazette du Val d’Oise lui donnait un coup de main en lui écrivant quelques mots gentils dans ses colonnes. [8] Le reste, les ingrédients pour la pizza étaient apportés par les bénévoles eux-mêmes. Une liste était même dressée pour l’année prochaine qui servirait de ticket d’entrée aux invités. De cette manière, disait M. Clair, les pique-assiettes ne se mettront pas les pieds sous la table sans être expressement invités.
Rencontre au four de l’Hermitage
Dès que le four commence à fumer, les passants se demandent d’où vient l’odeur. Ils rentrent chez eux tout enfumés au feu de bois. Petits et grands, anciens et nouveaux viennent échanger quelques mots du quartier.
Une météo inquiétante
D’ailleurs, la météo n’était pas seule inquiétante. Déjà l’an passé, M. Barillon avait fait remarquer que "le pain de l’Hermitage avait trop de sole", ce qui, pour les non-boulangers mérite une petite explication.
Comme les visiteurs ont dû l’apprendre depuis le temps que le processus est rabâché autour du four, cuire le pain, c’est accumuler de la chaleur dans les pierres et la faire passer dans la pâte fraîchement mise au four.
Le choc thermique provoque alors l’éclatement des petites bulles de gaz à l’origine de la mie : "la mie irrégulière a meilleur goût", dit M. Barillon, pour une fois, autorisé en tant que pâtissier à se prononcer sur le pain.
Quoiqu’il en soit, la chaleur, dans la mesure du possible doit passer uniformément dans la pâte. Or les briques neuves de la sole semblent accumuler et diffuser la chaleur mieux que les anciennes vieilles de 2 siècles [9] [10]
video : flamme allechante
Le résultat est visible par tout un chacun : alors que la croûte est bien cuite, le dessous du pain l’est trop, presque carbonisé. La couleur du pain diverge alors de celles des supermarchés d’aujourd’hui sans que l’on puisse savoir si elle correspond à la couleur des miches anciennes. Rien n’y fait : améliorer la qualité du bois d’année en année - le peuplier serait l’idéal, bien sûr - ou assurer une chauffe lente et régulière ne suffit pas à répartir une chaleur uniforme entre la sole et la voûte.
Et pourtant Ms Clair et Barillon ont trouvé un moyen pour remédier à cet inconvénient : ils ont joué de la place des pâtons sur la sole autant que du temps réduit de cuisson pour tenir compte de l’humidité et de la température de la mauvaise météo. Finalement les pains sont sortis sans dessous noircis. "Cette fois-ci, ils manquent de voûte " a dit alors M. Barillon. Mais ils ressemblaient à s’y méprendre au pain d’aujourd’hui à la différence près qu’il était cuit au bois. La pluie, il faut le dire laissait aux boulangers le temps de la réflexion pour réussir à intégrer tous les facteurs d’un bon pain d’autrefois aux conditions de cuisson d’aujourd’hui.
Curieusement, la pluie du samedi ne décourageait pas tous les candidats à la dégustation.
et pourtant, une rencontre insolite sous la pluie, M. Villeneuve, un des derniers livreurs de la boucherie du Grand Martroy.
Le soleil enfin !
Pour rallumer le feu, rien de plus simple : fendre les bûches est le premier pas à faire.
avant de mesurer la température à l’aide d’un thermomètre "XIXème siècle" ! « Pour le thermostat, dit M. Clair pour blaguer, il est cassé et l’on n’a pas encore trouvé quelqu’un pour le réparer. »
Scarifier les pâtons et enfourner est alors un jeu d’enfant !
video : scarification enfournement
La cheminée peut mieux faire
Pour éviter les chutes de pierres, M. P. Stein propose même un tubage du conduit. Une nacelle a d’ailleurs été dépêchée sur place pour réparer : mais l’employé n’a pas trouvé le trou. « L’engin n’allait pas assez haut », dit M. Stein.
Les premières années, pourtant, déboucher la cheminée devait favoriser le tirage : sinon la fumée échappée hors du conduit léchait le devant noirci de la falaise.
Entre les mains de M. de Wolbock, un fer plat de 6 m était enfilé le dessous. Au dessus, M. Pannet attendait l’aboutissement de la tige. « Mais » dit M. Pannet, « cette année, monter sur la falaise, pas question ». M. Stein comprend bien que ce n’est pas une tâche de tout repos. Le maire-adjoint veut même déléguer un pompier de la Ville à ce travail périlleux. Quoiqu’il en soit, la cheminée doit être dégagée pour éviter de laisser tomber des pierres. « C’est déjà arrivé, dit M. Pannet, heureusement, de la falaise, les pierres sont tombées sur le toit des voitures pourtant bien garées », termine M. Pannet soulagé.
L’électricité, de même, devait être installée pour éviter de trop déranger Cécile. Cette année, la pâte ne serait pas réfrigérée sur place, M. Foubert étant à Villarceaux avec son matériel. Elle resterait chez le boulanger de proximité jusqu’à l’heure dite. Pour la transporter, la brouette de M. Delaforge [11] trouve à s’employer de nouveau : pour transporter la pâte aujourd’hui, elle fait merveille comme hier les légumes du jardin potager.
Puis, les bacs de pâtes seront acheminés vers le four : une fois chauffée, la sole doit être débarrassée de la moindre braise. Comment faire alors sans électricité pour éclairer ?
M. Stein a bien pensé à un agrégat pour remplacer le fil tiré du poteau électrique juste en face proposé par M. Pannet. Mais le bruit d’enfer de la machine l’a de suite condamné et redonné au fil électrique de Cécile toute son actualité. « Le pressoir de d’Hastrel n’est pas électrifié, non plus, pensé-je en moi-même ». Pour y voir clair quand même un peu, une batterie électrique permet d’éviter de justesse la bougie. Pour dire qu’on a tout sous la main pour s’éclairer la lanterne.
Des visiteurs nombreux sous le soleil
[12]
Mais la place du four un peu en retrait le met toujours un peu à l’ombre. Pour y accéder, on se bouscule parfois .
« Sinon, la pizza du dimanche soir doit rester entre nous, » dit Marie
les quelques photos prises de-ci de-là, sont par conséquent, à demander aux bénévoles. Selon la tradition maintenant solidement établie, on n’y est jamais invité. Il suffit d’être du quartier pour apporter les ingrédients voulus. Le reste se fait tout seul bien entendu.