Marchand des 4 saisons ?
A longueur d’années, les potagers étaient devenus un musée à l’ancienne. Ils avaient conservé la tradition pour faire progresser la production. Les rendements exorbitants étaient laissés aux machines compliquées. Plus lents, les potagers, continuaient de faire simple à la main. A la force du poignet, ils domestiquaient la nature. Une fois dressée, elle nourrissait de nombreuses générations. De père en fils était une pépinière de virtuoses. A ce niveau, jardiner était devenu un un art de plein air très terre à terre .
Entre les plates-bandes petits et grands se donneraient rendez-vous pour défiler cet été. Il ne manquait plus que le thème national au tout dernier moment : il avait le temps de se révéler bien assez tôt. Entre temps chacun tissait sa toile là où C . Pissarro avait posé son chevalet. Ce ne serait plus les mêmes carrés ni les mêmes salades. Mais avec plus d’un siècle d’écart, le terrain était doublement artistique. Ses couleurs au cours de l’année enseignaient de nouveaux les 4 saisons. Disparues dans les supermarchés, elles faisaient surface sous les coups de pinceaux de C. Pissarro. Le temps à l’ancienne reprenait son tempo lourd et lent des siècles précédents.
Les toiles rappelaient si besoin en était la succession des saisons d’autrefois. Il suffisait ensuite de venir par moments constater ses effets. Les graines restaient plantées un temps sans montrer le bout de leur nez.
C’est que le sous-sol autant que le sol poussait à la roue des saisons. Tout ce petit monde bossait en boucle pour se nourrir les uns les autres. Ils creusaient dans le sol des galeries pour l’eau de pluie qui, de ce fait, ne dérangeait plus personne. Bien installés, les vers de terre activaient la décomposition des végétaux et alimentaient les plantes en silence. Au vrai les emboucaner par la nappe phréatique n’était pas très finaud. Des efforts avaient été tentés pour ne pas les retourner comme des crêpes. Les labours peu profonds, avec le temps, avaient gagné du terrain. Par ce biais, le animaux aidaient les plantes à convertir tout le monde végétarien. Mille plants mûrissaient les uns après les autres. Puis, chaque plate-bande, sans le moindre palettiseur, livrait fruits et légumes. A son propre rayon, chaque jardinier se servait alors avec un peu de patience. Pour un temps, personne ne cédait plus à son moindre caprice. Pourtant, tout un chacun vivait très bien sans disposer constamment de tout-tout-de-suite sur le marché très libéral.
A force de progrès, la culture traditionnelle oubliait de se soucier des besoins élémentaires à couvrir. Un jardinage pour le plaisir faisait oublier le mauvais souvenir des famines d’autrefois. Elles n’étaient plus qu’histoire ancienne sur les écrans modernes PC très hors-sols. Les crises monétaires s’éclipsaient d’elles-mêmes : troquer ses plants dispensait de monnaies au cours devenus incertains.
Le troc aux plantes
Deux sages dames venaient l’organiser au moment des cerises. Le gâteau dessous arrivait du Chou de surcroît. Elles apportaient le troc sur un plateau d’argent. A coté de la balançoire pour les enfants, chacun viendrait échanger graines et plantes.
A coté, les écoliers pourraient venir illustrer le thème de cette année enfin révélé pour tout le pays : des animaux seraient modelés de leurs mains pour cadrer avec les vœux des nationaux. Déjà, les enfants, ne savaient plus très bien de quoi une vache avait l’air. Alors, il était grand temps que les dirigeants du pays leur remettent les pieds sur terre. Du même coup, les animaux modelés ou en chair et en os échappaient aux soucis alimentaires : leur compagnie était un véritable agrément.
Pour une fois, l’Hermitage cadrait parfaitement avec les desideratas des hautes sphères. Loin de nourrir son homme, l’animalerie de Benoît régalait les yeux par un festival de sons et de couleurs.
La 6ème extinction en marche
La nature semblait réconciliée avec les cultivateurs : autrefois prédateurs des semailles aux moissons, les oiseaux, aux yeux des jeunes jardiniers, devenaient de précieux auxiliaires . Certains, absents, se faissaient remarquer : ainsi les moineaux sans explications manquaient à l’appel purement et simplement. [1]. D’autres, s’éloignaient pour un temps, et revenaient une fois leur blason redoré. Heureusement, les enfants les modelaient pendant qu’il était encore temps. Dans un futur lointain, il resterait au moins des figurines en lieu et place des disparus.
Des copies conformes en argile se dispensent d’insectes pour sustenter leur vol évidemment. De plus, les survivants disposant de plus de place gagnent en audace : le merle était déjà moins farouche pour approcher les jardiniers.
La Bergeronnette des ruisseaux menacée
Sur terre, en sous-sol et dans les airs, quelque chose avait définitivement changé : le plaisir pris à jardiner était trop beau pour ne pas être suspect. Il était grand temps de se rendre compte de ce qui allait se perdre.
Les oiseaux au moins avaient besoin d’être protégés. Heureusement, dans le quartier se nichait le refuge de la ligue de Protection des Oiseaux. Pour retenir les espèces menacées, l’association proposait de quoi calfeutrer leur nid douillet. Sur la liste rouge, à défaut de mieux, les oiseaux étaient donc assurés de figurer pour longtemps menacés.
La fee railleuse dans le Jardin de rocaille
A partir de ce moment, la liste rouge devenait l’envers de la médaille des succès indéniables du passé. La comptabilité énergétique mirobolante avait simplement oublié les déchets produits par toute transformation. Ils réapparaissaient alors dans l’opulence moderne : par récupération, ils servaient de matériaux nobles pour sculpter dur comme fer des statues d’animaux.
Transfigurés, les animaux revenaient de plus bas que terre : ils rappelaient les vers, les asticots et les limaces et toute la ménagerie empestés, paraît-il, par la nappe phréatique.
Le Jardin des Toits-Rouges
A l’attention du grand public, l’Association « Mine de rien » avait enjolivé ce travail souterrain. Plus rien n’apparaissait de derrière la façade. La chimie qui avait dopé les rendements de la terre jusqu’à saturation faisait grise mine : des statues lui sauvaient la face pour un bout de temps encore.
Somme toute, la pollution, l’exploitation forestière, la chasse et l’urbanisation avait inspiré la création à bas coût de sculpture par simple récupération. En définitive, les sculptures venaient réparer les dégâts [2] causés par notre propre triomphe opulent et aveugle.
Le Jardin aux bananes
Les insectes avaient d’autant moins de becs à nourrir. Ils auraient pu profiter de la situation pour se refaire une santé : malheureusement, ils suivaient tous les animaux dans leur inexorable extinction . De ce fait, les fleurs gardaient leur pollen sans emploi. Le sol en décomposition restait en l’état. Les espèces nuisibles pouvaient s’en donner à coeur-joie.
Un traitement de faveur en rappelait le souvenir : les sculptures snobaient les matériaux de récupération pour s’offrir du neuf négligemment.
Le Jardin de Françoise
Du coup, les animaux avaient presque complètement disparus du Jardin de Françoise
Seule une libellule figurait encore sur un tableau.
Le jardin de Florence
Personne ne sait si elle avait inspiré les écoliers de l’Hermitage. Mais les enfants avaient reconstitué tout le règne animal avant qu’il ne disparaisse tout à fait.
Ces petits monstres d’inventivité, seront-ils moins prédateurs de la planète que leurs parents ? Composant alors avec la nature dès le jardin d’enfants, garderont-ils dans cent ans leur lopin de terre comme aujourd’hui la terre entière ?
On peut rêver : le Jardin d’Armelle
Ils y sont encouragés par des toiles très poétiques. Mais leur futur appartient pour l’instant aux étoiles.
Sur leurs vieux jours sur terre, ils garderont en tous cas quelques vestiges en céramique du temps où les oiseaux migraient librement.
Maigre consolation de n’avoir qu’une copie des oiseaux originaux aujourd’hui encore bien vivants : à les voir, les enfants en profitent pendant qu’il en est encore temps.
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