L’Etat ratisse large dans les Jardins du quartier
De haut, l’Europe était tombée par ordonnance dans le quartier. Les autorités nationales lui avaient donné rendez-vous aux jardins. De ce simple fait, un continent entier arrivait comme un cheveu sur la langue. Du coup, l’Hermitage devenait un chien dans un jeu de quille : il ne savait plus où caser tant de nationalités.
L’Europe revient de Pontoise à l’Hermitage
Pour faire bien dans le tableau, le thème de cette année recommandait d’évoquer les jardins [1]à la française.
Autant dire que nos lopins de terre n’étaient pas assez hauts-de-gamme. Déjà, se faire bien voir de la ville voisine n’était pas chose facile.
Il s’y consommait de la culture comme du bon pain. Le centre ville de Pontoise se mettait en scène comme bon lui semblait : avec ses finances, elle avait les moyens de s’offrir l’époque la mieux adaptée au grand public s’il vous plait : l’assaut du château de dans le temps ou le trésor caché d’un roi sous son doigt étaient prétexte à une culture lucrative et ludique. Les rues de la ville reconstituaient alors à grands frais chaque année les tours de chant des troubadours ou l’habileté des archers d’époque.
Culture consommée ou agriculture sans mise en scène ?
L’Hermitage aurait pu tenir bon : s’ouvrir sans rien cacher ni de sa grandeur ni de sa misère. Mais l’habitude était prise d’année en année : les jardins ne s’ouvraient pas seulement sur eux- mêmes. Les visiteurs se déplaçaient pour quelque chose en plus des fleurs, des fruits et des légumes. Pour sauver les meubles de la manifestation, les artistes du coin devaient prêter main-forte. Leurs œuvres attiraient le chaland de très loin. Mais elles escamotaient du paysage mille et une curiosités locales. Elles cachaient au flot de visiteurs ce qui restait d’authentique de tous temps. Pour quelques jours de juin, les jardins étaient montés de toute pièce pour la galerie.
Au vrai, à l’Hermitage, les mises en scène se limitaient aux scènes de ménage en arrière-plan ! Tout le reste était sans chichi ni tralala. Même les animaux d’agrément gardaient tout leur sérieux quand même. Ils rappelaient le genre de vie des fermes du passé. Soigner les bêtes pour manger demandait du travail du matin au soir. Patience et longueur de temps valait mieux sans forcer ni rager selon la saison. L’alimentation ordinaire se négociait alors les outils à la main. Sans saute d’humeur guerrière, la nature était encore crainte pour inspirer un respect bien mérité. De ce point de vue, les animaux colorés offerts en pâture aux visiteurs étaient un reliquat. Ils formaient poche de résistance après le déferlement de la vague d’opulence. Les beaux plumages prospéraient sans ramage pour le plaisir et couvraient par ce biais les besoins les plus élémentaires. Après eux, adieu veaux, vaches et cochons : les besoins iraient se faire voir ailleurs : par voie de conséquence, à quelques exceptions près, les parcelles, mèmes très cultivées, avaient cessé de bien nourrir leurs hommes. Elles étaient restées à leur rythme pour passionnés du dimanche. Dans les jardins, fruits et légumes continuaient de prendre leur temps pour mûrir. Cet état de choses valait-il pour toute l’Europe ? Y répondre exigeait de se mettre déjà au diapason national. Quelque part, sans doute, ces pratiques de cultures étaient mis à l’honneur. [2]. Il suffisait d’un bout de terre sans Rois ni Princes vivant du servage de leurs loyaux sujets. Une copie conforme de l’Hermitage se trouvait-elle à l’identique quelque part sur notre continent ? Même avec l’original sous le nez, dénicher un autre coin de paradis sur terre, c’était de très loin mission trop compliquée.
L’Europe tirée par les cheveux
Il reste néanmoins à trouver quelque chose d’européen dans les jardins pour répondre au thème choisi d’en haut. Comme souvent, la planche de salut est à trouver du côté des artistes : à la rigueur, ils permettent de raccrocher le quartier aux branches de l’Europe. Sinon, le thème à quatre épingles est très tiré par les cheveux ! Le premier à s’être épris de la lumière de l’Ile-de-France est sans conteste C. Pissarro : était-il européen pour autant parce que, danois de naissance, il a dû fuir jusqu’ à Londres la France en guerre ? Difficile de le dire : l’Hermitage est-il un quartier européen parce que P. Gauguin époux de Mette-Sophie Gad [3] peint le jardin du Quai du Pothuis ? Comme son nom le suggère, Mette-sophie était danoise et sa soeur épousera le peintre norvégien F.Thaulow [4]
Avec lui, d’autres talents [5] sont venus célébrer le quartier. L. Piette, P. Cézanne ou P. Gauguin l’ont suivi pas à pas.
C’est eux en définitive qui nous montrent le chemin : toute l’Europe vit à l’heure actuelle derrière ses écrans comme autrefois les peintres restaient confinés dans leurs ateliers. Par l’informatique, chaque pays idéalise la rude réalité et la rend virtuelle. Ainsi édulcorée, elle prend l’allure des fresques mythologiques d’autrefois. En rupture avec ce monde hors-sol, l’impressionnisme remettra l’Europe les deux pieds sur terre. Une nouvelle esthétique allait naître au contact des gens ordinaires. De la même manière, quelques pas dans les jardins rappelleront-ils aux européens connectés qu’une rose sur un écran n’a pas d’odeur ?
Quelques instants déconnectés, les enfants découvriront-ils que tous les produits naturels ne sont pas non plus à prendre pour argent comptant ?
Des internautes solitaires dilapident des fortunes pour rester seuls devant eux-mêmes sans partager quoi que ce soit. Même sans un sous, chacun possède pourtant sa place au soleil : libre comme l’air, le ciel est évidemment à tout le monde !
Mettre le nez hors connexion leur ferait mettre le doigt sur une autre sphère très terre à terre : la culture maraîchère, depuis des siècles, joignait les deux bouts de la chaîne alimentaire : fruits et légumes ne s’achetaient pas au bout du monde. Un savoir-faire plus que centenaire les mettaient à portée de la main de chaque ferme.
Mêmes utiles, les produits de la terre ne cessaient pas d’être beaux ! Il suffisait de les voir satisfaire les besoins du quotidien. Une fois couchés sur la toile, ils disséminaient l’Hermitage au-delà de toutes les frontières.
Le Jardin de la Gloriette
Les bâtiments aussi partaient régaler des yeux la terre entière. De riches parisiens du XIXème siècle venaient se mettre au vert par le train.
Forcément, les peintres, une fois de plus ont vu la beauté sur toute la ligne. [6] Hors du travail aux champs, ils renouaient avec le monde de leurs racines. De productifs, les jardins devenaient décoratifs : pour y cultiver la poésie, une gloriette était au coin du jardin.
Insensiblement, donner rendez-vous aux Jardins faisaient passer de l’utile à l’agréable. Par voie de conséquence, quelques plantes aromatiques agrémentaient les épinards. Dans ces conditions, la gloriette mettait du beurre sur le gazon. Sur ce mouchoir de poche, une conteuse et un saxo venaient alors mettre un peu d’animation.
Le Jardin de Florence
Une nature morte, en revanche, annonçait la couleur au rendez-vous suivant.
De l’agréable, les fleurs donnaient dans le décoratif à pieds-joints. Visiblement le jardin assurait bien la nourriture terrestre. Il faisait la fine fleur aux grosses légumes.
Les enfants, en revanche, étaient bien acceptés. Dès le jardin d’enfants, l’Hermitage exposait leurs oeuvres pour l’éternité deux jours durant.
Jardin de la rocaille
A l’Hermitage, les enfants des jardins évoluaient dans un milieu champêtre : avant l’extinction totale des espèces, le jardin de rocaille avait cloné deux moutons pour eux.
Fleurs à la bouche, les bêtes étaient bien gardées par un berger de bois [7]. La bergère leur avait planté des roses Pissarro bien entendu [8].
Sinon, le reste était une pure image post-moderne. Dans la verdure du gazon, un couple de fer cachait ses statues plastiques.
Les bouteilles du même métal avaient trouvé usage très récupératif bien avant d’aller atterrir en mer sur le continent de déchets. Dans le Jardin de Rocailles, le plastique avait su se rendre utilement durable.
Les fleurs n’étaient certes pas mal artificielles au milieu des arbres verts en chair et en os.
Le Jardins des Toits Rouges
Pas loin du tout, une bande dessinée grandeur plus que nature était restée de l’an passé. Elle laissait ses traces négligemment posées hors compétition sculpturale.
Commençaient alors en remontant la pente, les cocottes en papier origamique dans les arbres perchées.
Puis les sculptures passaient du papier au métal, des chevaux aux plaques d’aluminium sans coup férir.
Puis la terre cuite reprenait ses droits sur les personnages dinant sur l’herbe.
Comme un dessert à l’entrée du Jardin, l’Europe avait le mot de la fin. Chaque état avait son mât et son drapeau : il manquait celui de l’Hermitage.
[9]