Un patrimoine sans citoyens
Des sauvages dans la cité : quels citoyens ?
A en croire les autorités nationales de cette année, un patrimoine suffisait pour être citoyen ! Pour tenir son rang de haut niveau l’Hermitage devait se bricoler un héritage ! Le quartier avait une occasion unique de se faire reconnaître enfin à part entière ! Dans la cour des grands, il se hisserait sur la pointe des pieds . Mais la légende de son château [1] n’était que poussière dans l’océan des qualifications nécessaires. Sa légende trop fumeuse, comparée aux manoirs et autres cathédrales, ne faisait pas le poids ! Pour faire bonne mesure, il mettait alors dans la balance son pressoir [2], sa chapelle creusée dans la roche [3] à coté du Couvent des Mathurins et même son four [4] sauvé de la décharge. Mais le compte n’y étant toujours pas, il fallait encore y ajouter des preuves du passé : par chance, chaque ferme cuisait son pain au quotidien. Tous les fours du quartier valaient bien un aveu [5] : de derrière les fagots, chaque maraîcher pouvait sortir son exclusivité ; le quartier n’avait pas toujours construit en dur ! N’ayant pas les moyens, chacun creusait pour occuper sous le terrain : sans débourser, chaque fermier se mettait ainsi à gauche sa « carrière demeurante » [6] Mais alors le patrimoine était plus bas que terre. Il n’arrivait pas aux chevilles des Comtes, Marquis et autres Princes. Même logé sous terre à bonne enseigne, un troglodyte ne se distinguait pas du lot. Sa vie durant, il demeurait corvéable sans merci ni chien es-tu bête. De son savoir-faire, il tirait son chapeau très bas ! A force de courbettes, il extrayait sa pierre comme il récoltait ses légumes. Pendant des siècles, il était resté en l’état. Puis la Révolution était passée dessus : le progrès avait tout balayé des métiers à ne savoir qu’en faire. Les carriers cessaient depuis belle lurette d’attaquer à l’escoude leur front de taille. Les tailleurs de pierre s’étaient mis à l’ère du béton. Sans laisser tomber leur métier, ils s’équipaient d’un vacarme de marteaux-piqueurs. Du coup, l’Hermitage ne savaient plus rien faire comme avant.
Des célébrités pour acheter l’éternité
Heureusement, le quartier se rattrapait avec son pesant de célébrités. Toujours première dame quelque part, Maria Deraismes [7] venait à la rescousse : pensant librement, elle s’était immiscée comme un seul homme dans une loge maçonnique. Puis elle avait attiré des opposants notoires dans son château. Elle prêchait la bonne cause aux républicains du Royaume. Ce faisant, ils parlaient dans son salon aux murs sans oreilles pour se faire espionner.
C. Pissarro habitait de son coté à deux pas du château. L’a-t-elle rencontré par hasard ? Au vu des dates, ils auraient pu se croiser comme par un fait exprès. Mais ils avaient des chemins très différents : elle avait trouvé sa voie dans la politique de haut niveau. C. Pissarro, pour sa part, ne menait pas la vie de château. Sans le sous, il passait d’une habitation à une autre : il aurait même transité un temps par une carrière. Du coup, sa femme et sa marmaille, évitait un loyer. Sinon, un tableau payait son ardoise pour joindre les deux bouts. Mais rien ne l’empêchait d’inviter des peintres comme lui passionnés par la lumière [8]. Sur leur palette, ils picoraient du bout de leur pinceau une couleur pure. Puis en rase campagne, ils la couchaient tout bonnement sur la toile. Une fois arrivées à bon port, les taches s’arrangeaient entre elles. De cet accord parfait, le quartier devenait le berceau de tout un mouvement. Mais, déshonorant l’Art français de l’époque [9], les toiles ne trouvaient pas preneurs sur place. Heureusement, les américains n’avaient pas jeté les tableaux avec l’eau du bain. De ce fait, l’art nouveau-né s’achetait très cher à l’étranger. Ils en mettaient plein la vue dans les musées du monde entier. Du temps des peintres, Maria Deraismes n’était pas censée le savoir : lui plaire localement, [10] par conséquent, n’était pas gagné d’avance.
Un quartier rayé de la liste
Une autre dame de Paris n’a certainement pas vu le quartier en peinture. Chargée de dresser une liste des endroits de Pontoise à garder, elle arrivait de Paris ! Pour la ville rien n’était plus simple : la cathédrale lui crevait les yeux. Pas plus loin que le bout de son nez, elle avait recensé le plus gros. Une fois arrivée au rempart de la ville, elle levait son crayon haut la main. Sans coup férir, elle rayait d’un coup de plume, le quartier de la carte. Ce faisant, elle lui arrachait ses galons dans l’échelle culturelle. La folie des grandeurs “à la française”, rendait l’Hermitage minuscule au bout de son crayon.
Le petit patrimoine, à ses yeux, n’était que de “la France d’en-bas” [11]. Ignorant superbement C. Pissarro, elle se dispensait de rendre hommage au père de l’Impressionnisme. Elle s’épargnait mine de crayon en main de se pencher sur le berceau d’un mouvement mondialement reconnu. Sa liste du centre de Pontoise avait d’autres chats à fouetter. Quant à A. d’Hastrel, le Comte Léon ou Eugène Turpin, mieux vaut ne pas en parler. Sur la liste de la dame de Paris, ils n’avaient aucune chance.
Primo, pour les inscrire sur la liste, elle aurait du savoir qu’ A. d’Hastrel habitait Château-Verger en plein dans l’Hermitage. A sa décharge, elle ne pouvait pas voir son pressoir monumental : heureux, il vivait caché aux yeux des gens très occupés. Pour le voir, elle aurait dû prendre le temps de lire dans les livres le nom de l’ancien fief. Elle aurait sans doute fait le rapprochement avec Chateau-Verger. Mais l’ancien régime n’était peut-être pas son fort. Secundo, le Comte Léon, habitait, lui, la Villa Beaujour en dehors des remparts. Si la dame triait le beau linge sur le volet, le Compte Léon était en dehors des limites de son épure. Tertio, sur sa liste, Eugène Turpin demeurant au Pothuis aurait pu être candidat : après tout, il avait connu son heure de gloire au Ministère de la Guerre. Mais, simple inventeur génial, ni polytechnicien, ni ingénieur des mines, il était passé par la case prison. Par conséquent, le passer sous silence était une obligation. Pour dire que les trois célébrités du quartier n’empêchaient la dame ni de dormir ni de rentrer à Paris une fois sa mission accomplie. En définitive, ni vu ni connu, Pontoise restait sans l’Hermitage Ville d’Art et d’Histoire quand même.
A Paris, les choses se préparaient à l’Assemblée Nationale s’il vous plait. Le parlement
avait concocté un projet de loi relative à la liberté sous toutes ses formes [12]. Le mot " liberté" était à la portée de tout un chacun. Au fronton de chaque Mairie, on le retrouvait gravé dans le marbre. A qui savait lire, il suffisait d’avoir des sous pour faire valoir son (bon) droit. Quant au projet de loi, le comprendre exigeait une solide formation. Le commun des mortels devait se satisfaire d’une simplification. Désormais, le patrimoine s’effacerait devant la construction. De cette manière, tout l’Hermitage faisait partie d’un vaste marché. Il suffisait de gagner gros pour avoir raison de bâtir à tort et à travers.
Aux larmes citoyens
Sans le sous, l’Hermitage avait pourtant payé l’impôt de son sang.
Pour sauver la Patrie en danger, le 23 Mai 1790, les militaires de la Compagnie de l’Hermitage “prétaient serment et juraient d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roy, de remplir avec exactitude et fidélité leurs fonctions militaires qui leur seront confiées, d’être toujours prêts à se joindre et à faire corps avec la garde nationale de la Ville …”
Une société bien ingrate
Cet engagement ancien suffisait-il à mettre les nantis le nez dans leur ingratitude ? Tout permet de le penser dans la continuité : au XIXème siècle le tourisme de la capitale prenait déjà des trains entiers. Un guide à la main chaque citoyen se payait la tête de son origine plus bas que terre !
Une nouvelle vague de "petites maisons bourgeoises" plane peut-être sur l’Hermitage comme un cheveu sur la soupe ? Quelle épidémie de phylloxera sera le comble de malheur ? Un climat déréglé aura-t-il raison une nouvelle fois de quelle vigne ? Le quartier, même relégué hors les murs pourra-t-il garder sa dignité surtout ? Le pire est déjà arrivé : le quartier a déjà cessé d’alimenter la ville entière de son vin [13] et de pain quotidien [14] Son savoir-faire ne sera plus bientôt qu’un lointain souvenir.
Adieu, veaux, vaches et cochons de la Sept’mbre [15] ! On ne boira plus que des vins australiens ! Quant au pain, il arrivera congelé du bout de la terre.
Un storyboard à l’ombre de C. Pissarro
Pain et pizza devant l’exposition F. Dassé et F. About auraient pu suffire à attirer l’attention des citoyens sur le petit patrimoine. Cette année, de plus, une ombre particulière était portée sur l’Hermitage. Comme souvent, C. Pissarro de son éternité donnait un bon coup de pouce. Il nous faisait profiter de ce qui reste sur place de ses tableaux. Mis au goût du jour, il devenait un storyboard qui commençait sur les grilles de la Mairie. Il se terminait sur Internet si, de son smartphone, quelqu’un flashait le QR Code .
Un parcours guidé par le concepteur en personne serpentait dans l’Hermitage jusqu’au four. Ignorer les peintres du quartier devenait de plus en plus difficile.
De plus, le souvenir d’un hermitagien ayant fait son chemin à coup de pinceau sur la terre comme au ciel ne pouvait qu’encourager d’autres à faire de même. Quitte à payer le prix fort, la voie était toute tracée bordée de son lot de misères.
Un nouveau Saint à qui se vouer
En chemin, chaque hermitagien aura toujours son lot de consolation à qui se vouer. Il a même hérité cette année d’un nouveau saint patron. St Honoré protége depuis peu les boulangers dans une chapelle de St Maclou. Le vin, lui, était sous protection pas loin du tout : dans un grenier du musée Musée, Saint Vincent était remisé pour l’éternité.
La main à la pâte
Dans ces conditions, les Talmeliers [16] pouvaient encore cette année mettre la main à la pâte. Ils entonnaient toujours la même litanie. Chauffer, enfourner, défourner. Mais à chaque fois le pain sortait différent de l’épreuve.
Depuis 2 siècles, la voûte avait tenu le coup : cette année encore des petites chauffes en avaient chassé l’humidité. Mais à terme elle risquait de s’effondrer sur elle-même. Quelqu’un du métier devait y jeter un oeil par conséquent.
De plus, cette année la croix pattée remontait en surface. En lieu et place, de la croix en pâte sur le pâton, elle était scarifiée sur le dessus de la boule.
Cette année encore M. Doisneau pratiquait sa marque de fabrique : à température dans les 250 C, il l’humidifie l’air entre sol et la voûte. De ce fait, les pâtons n’ont qu’à bien se tenir ! En fin de cuisson, toutes les croûtes sont comme dorées sur tranche.
La mie, sous la croûte, s’aére alors très naturellement.
La nouvelle version du pain du Vexin aura-t-elle plus de chances que le premier essai : pour un coup de maître, des considérations économiques avaient eu raison des premières boules. Elles ne partaient pas comme des petits pains : de ce fait, elles devenaient un encombrement majeur pour les Moulins de Char. Les sacs de farine devaient dégager l’entrepôt. La filière terminait ainsi en eau de boudin. Un coup d’arrêt était mis à des croix très symboliques tatouées sur la croûte : le pain sous cellophane reprenait le dessus.
L’Hermitage, d’un coup, devenait une auberge espagnole. Chacun y trouvait ce qu’il y apporte. Restait un peu de chaleur en fin de journée. Une pizza économisait sur tout en utilisant le moindre résidu.
[17]
Citoyens d’Honneur sans patrimoine ?
Le défilé ne s’arrêtait pas là ! Après leurs parents, le four était un point de ralliement des enfants ! Venant d’un peu partout, s’approprier un endroit bien à soi est un impératif majeur.
L’occasion leur était donnée de creuser un peu plus loin que leur univers pavillonnaire.
Mise en scène culturelle ou culture du savoir-faire ?
Comme leurs aînés, les jeunes hermitagiens ont besoin d’un héritage pour être citoyens. Mais leurs anciens doivent leur faciliter le passage vers leur futur proche ou lointain. A peu de frais, ils peuvent ouvrir la porte à la vie d’autrefois : inutile de remiser à prix d’or, ces pratiques dans un musée ou un château [18]. A l’Hermitage, cette mise en scène n’est pas de mise : le quartier lui-même est la scène. Pourquoi ne pas la regarder de plus près ?
Game over et QR CODE du futur
Le OR Code remets le four à l’heure
[19]