Un souvenir diffus tiré au clair
Je m’étais promis, cette année, de tirer au clair un souvenir diffus : à deux pas de chez moi, la vis du pressoir de l’Hermitage devait encore se trouver dans la carrière du voisin : un texte d’A. d’Hastrel paru dans l’Echo Pontoisien du 5 Octobre 1868 [1], éclairait ma lanterne :
"Les deux pressoirs de l’Hermitage sont celui de Baptiste Havard, dans le bas du pays, sur les bords de la ravine Saint-Antoine, et le persoir - Dolphe, sur la colline, près de la sente d’Auvers.
Ce pressoir spacieux est d’un aspect presque fantastique ; creusé dans le roc, au lieu dit le Château-Verger, il fut fondé, dit-on, par les Carmélites, il y a plus de 250 ans ; la lumière du jour y parvient par un grillage antique et à travers un solide arceau en pierres de taille de cinq mètres de flèche ; les montants et les traverses du pressoir sont en vieux chêne de cinquante centimètres d’équarrissage, et sa pression s’exerce par une roue horizontale de deux mètres de diamètre, cette roue mise en mouvement par un piloir-cabestan et à bras d’hommes. Sur l’énorme traverse supérieure figurent encore la binette du vigneron [2] et le bouquet traditionnel, souvenir d’inauguration du 3 octobre 1863 !
Une inscription gravée dans une des pierres de la voûte prouve que l’on n’a pas toujours vendangé en septembre ;
GABRIEL MAÎTRE ET VINCENT MAITRE
AVOIR PERSORÉ
LE 8 NOVEMBRE 1860.
A en croire G. Duclos [3] l’antique pressoir dans la carrière située entre le 23 [4] et le 27 rue A Le Moine venait d’une autre carrière située entre la rue A Le Moine et la rue Maria Deraisme,
Quoi qu’il en soit, la vis dont je me souvenais n’était plus là. En revanche, une fois ouverts les battants de la porte, ce qu’ A. d’Hastrel avait décrit apparaissait jusque dans ses moindres détails.
A défaut de la vis et du plateau un empoutrement impressionnant porte encore la trace du dispositif ancien. Comme le texte d’A. d’Hastrel le mentionnait, quelques binettes de vignerons figuraient sur le pressoir lui-même.
Une particularité locale
De plus, comme l’indiquait A. d’Hastrel, l’inscription
GABRIEL MAÎTRE ET VINCENT MAITRE
AVOIR PERSORÉ
LE 8 NOVEMBRE 1860.
était encore lisible. Les vignerons avaient même poussé leur fiéreté jusqu’à graver le mot particulier qu’ils réservaient à l’Hermitage. Comme A. d’Hastrel le signalait dans l’Echo Pontoisien, le mot "presser" ou "pressoir " était interdit à Pontoise extra-muros. En lieu et place des trop communs " pressoirs", tout l’Hermitage se agrémentait ses vendanges d’un "persoir", ou parlait d’un air entendu de " persorailles " alors que le moût était " persoré", exactement ce mot qui apparaissait sur le pilier.
L’inscription s’illumine certains jours de Septembre
A main gauche, comme l’indiquait A. d’Hastrel "un grillage antique " apportait le lendemain la lumière nécessaire à prendre des photos.
l’ouverture donne sur "un solide arceau en pierres de taille" [5] qui contraste avec la roche nue de l’endroit. Sa présence s’explique par les failles visibles de la roche qui laissent supposer un risque majeur de friction des blocs entre eux.
En fin d’après-midi, je dirigeais mon appareil vers l’inscription sur le pilier derrière le "persoir" : la lumière rasante du soleil au travers de la grille venait frapper le pilier à l’endroit même où les vignerons Gabriel et Vincent Maitre avaient gravé leurs noms.
Cet éclairage particulier du pilier me rappelait que l’électricité à la date indiquée (8 Novembre 1860) était inconnue à l’Hermitage. Par substitution, les dernières lueurs d’un jour d’automne suffisaient à souligner à la postérité les premières "persorailles" : un simple rayon de lumière au travers de la grille au bon moment introduisait père et fils dans l’immortalité.