Les troglodytes de l’Hermitage du XVIIème siècle
Hormis leur habitat particulier, les troglodytes de l’Hermitage des siècles passés ont laissé peu de traces. Ce qu’on peut reconstruire de leur genre de vie devrait en revanche intéresser les hommes du XXIème siècle. Vivant des produits de l’agriculture, les demeures des troglodytes se fondent dans le paysage. Dans ce sens, au XVIIème siècle, habiter une carrière non construite, est exactement l’opposé d’un appartement dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. En 3 siècles, la vie des gens de l’Hermitage est passée d’une survie possible au hasard des ressources naturelles, à une activité dans un cadre crée intentionnellement, en 1965, dans une boucle de l’Oise par simple décision.
Jean Rousseau, mannouvrier
L’acte de constitutionn de 1642 mentionne un nom "Jean Rousseau" [1]
"C’est assavoir une petite maison, cour, carrière, estable à vache, jardin et vigne y attenante le lieu comme il se comporte, le tout clos d’un mur audict chasteau Verger, que tenoit en possession cy dudit Jean Rousseau, mannouvrier dmt(demeurant) audit lieu, sur quoi il auroit retourné, faulte de payement des rentes par luy dubus",
Rentes du Carmel ADVO 70 H111 : Transcription.- D. Arcival, J-f Doucet
Pour Jean Rousseau, à ce jour, premier troglodyte connu de l’Hermitage au XVIIème siècle, construire une habitation est inutile : une carrière lui offre un logement tiède l’hiver et un abri tempéré l’été. Comme ses lointains ancêtres du néolithique, il vit des produits de l’agriculture et de l’élevage. Sans terre, Jean Rousseau ne possède probablement ni bêtes de labour, de trait ou de somme. Louant sa propre force de travail à un laboureur plus aisé que lui, boeufs et chevaux lui suffisent à cultiver les champs ou la vigne. [2].
Outillé simpement, [3] il ne compte que sur sa propre force. Aucun apport d’énergie ne la décuple : la lumière du soleil l’éclaire, le réveille et l’oblige à se coucher tôt au rythme des saisons ; la pluie irrigue les champs dans lesquels il travaille. Quelques fois, il est certainement payé d’argent comptant, mais le plus souvent, il recoit un salaire en nature ou une réduction de ses dettes.
Sans cheval ni boeuf, Jean Rousseau possède en revanche une basse-cour et de petits animaux ( moutons ou des chèvres) peut-être une vache, qu’il loge dans la carrière lui servant d’étable autant que de demeure (ses bêtes partagent avec lui leur chaleur si nécessaire) ; ce petit bétail (brebis, chèvres etc ) broute sur les chemins et les jachères. Leur lait est utilisé pour les fromages et le beurre vendus au marché voisin. De cette manière, il se procure de l’argent comptant. Seul le cochon dont on voit encore la cabane de nos jours, lui fournit le lard et la viande dont il se nourrit quelques fois. Aux jours de fêtes au lard sont ajoutées quelques crêpes ou galette avec des châtaignes. Pour l’occasion, Jean Rousseau se rend alors là où un acrobate montre ses talents sur la place au son de quelques musiciens.
Que mangeait Jean Rousseau ?
Son alimentation [4] [5] est composée essentiellement de pain de seigle (quelques fois de blé) [6] (de 800 g à 1kg par jour) trempé dans la soupe qui convient parfaitement à l’état probable de sa dentition ainsi que des racines et des pois (les carottes et navets sont habituellement vendus). Au dessert, il savoure parfois quelques fruits ou du fromage non vendu. Il n’achète pas son pain régulièrement qui est le plus souvent rassis et sert souvent d’assiette sur lequel il mange sa soupe.
Il est peu probable que Jean Rousseau ait pu profiter des produits exotiques comme le thé, le café ou les chocolats qui, à partir du milieu du XVIIè siècle sont introduits en France. Il a peut-être entendu parlé des nouvelles plantes comme le maïs, le haricot et la pomme de terre [7] sans pour autant le cultiver.
Jean Rousseau, selon toute probabilité disposait d’un potager où il pouvait cultiver ses légumes fèves, choux, gourdes, oignons, l’aïl, panais [8], navets, cardons [9] et peut-être des artichauts. [10]
Comme ses contemporains, Jean Rousseau se méfiait certainement de l’eau très souvent contaminée à l’origine [11] des épidémies dont l’une à Pontoise a fait jusqu’à 1200 victimes. A l’eau, il préférait sans doute le cidre ou le vin, le plus souvent une "piquette".
Si les famines, disettes et épidémies [12]sont le lot de sa vie quotidienne, Jean Rousseau ne meurt cependant pas de faim : il sait substituer au froment des fougères pour fabriquer du pain même si elles le rendent quelques fois malade. Des troncs de choux, des orties, des pissenlits peuvent aussi servir d’aliment en cas d’impérieux besoin.
Comment un manouvrier était-il habillé ?
Naturellement, les vêtements de Jean Rousseau sont du même type que ceux de ses contemporains (Pourpoint, chemise, haut-de-chausse et chaussures). Mais il est hautement probable qu’ils soient moins luxueux et qu’il n’a pas les moyens d’une garderobe très fournie. Ses habits ressemblent donc plus à des haillons qu’aux costumes des représentations des nantis du XVIIème siècle.
Vie et mort au XVIÌème siècle
Jean Rousseau, au cours de sa vie, a très certainement entendu la rumeur d’une famine ou d’une épidémie dans un village voisin ou une ville comme Pontoise peut-être même à l’Hermitage. Il sait alors qu’en l’espace de quelques mois, les gens meurent 4 à 5 fois plus fréquemment qu’en temps normal. Habitué à l’omniprésence de la mort, il ne s’émeut pas outre mesure des nombreux enfants morts avant d’atteindre 20 ans. On peut légitimement supposer quant à lui qu’il est né
[13] au début du siècle et mourra peu après la rédaction du contrat de constitution de 1642.
Il n’est pas certain que les effets de la Guerre de Trente Ans ( (1618 - 1648) se soient faits sentir à l’Hermitage. De même, la Fronde (1648–1653) pendant la régence d’Anne d’Autriche et le ministère du cardinal Mazarin, en pleine guerre avec l’Espagne (1635-1659) concerne surtout Pontoise où le Louis XIV fit se réfugier le Parlement. [14] Après tout le hameau de l’Hermitage est en dehors des fortifications de la ville. Mais les impôts qu’ils versaient, servaient au moins en partie à entretenir à prix d’or les armées. [15]
A lire aussi : "la France d’en bas est en guenille" : http://www.recherche-fenelon.com/page-13000-economie-ruine.html